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19.11.2014

Lech Walesa, l'homme sans qui rien n'aurait été possible
Par Daniel Vernet

Sans lui, sans le soulèvement des ouvriers des chantiers navals de Gdansk, sans leur entente étroite et inédite avec les intellectuels dissidents de Varsovie et de Cracovie, le mur de Berlin ne serait sûrement pas tombé et avec lui le bloc soviétique.

Sur la grande scène dressée devant la porte de Brandebourg, le dimanche 9 novembre, pour célébrer le 25e anniversaire de la chute du mur de Berlin, il n’y avait pas seulement Mikhaïl Gorbatchev au côté de la chancelière et du président allemands. Les Allemands considèrent l’ancien président soviétique comme le principal artisan de la fin de l’Europe divisée et le principal responsable de l’effondrement du communisme. Mais ils n’avaient pas oublié l’autre héros de cette épopée qui n’a pas commencé le 9 novembre 1989.

Sur la grande scène, il y avait aussi un petit bonhomme rondouillard dont les cheveux ont blanchi mais dont la moustache est toujours reconnaissable, Lech Walesa, l’électricien de Gdansk, l'«homme du peuple» auquel Andrzej Wajda rend hommage dans son dernier film.

Après l'«homme de fer» et l'«homme de marbre», cette hagiographie a le mérite de rappeler que beaucoup, sinon tout, a commencé en Pologne, presque dix ans avant que le Mur ne s’ouvre et cinq ans avant que Gorbatchev ne devienne secrétaire général du Parti communiste soviétique. Sans Walesa, sans le soulèvement des ouvriers des chantiers navals de Gdansk, sans leur entente étroite et inédite avec les intellectuels dissidents de Varsovie et de Cracovie, rien n’aurait été possible.

Il ne faut pas oublier la révolte des ouvriers de Berlin-Est en 1953 dont les protestations contre les cadences infernales ont été réprimées par l’armée soviétique, ni la révolution hongroise de 1956 noyée dans le sang par les mêmes chars ou la même année les mouvements populaires en Pologne, ni le «printemps de Prague» en 1968 auquel a mis fin l'«aide fraternelle» des soldats du pacte de Varsovie ou, toujours à Prague, la «charte 77» qui rappelait l’espoir d’un «socialisme à visage humain». Toutes ces manifestations contre le communisme soviétique ont contribué à sa perte.

Mais la dernière vague qui l’emportera s’est levée à Gdansk en 1980. Les premières revendications portent sur les salaires. Bientôt, les ouvriers demandent le droit de se syndiquer librement, en dehors des structures contrôlées par le Parti. Après des semaines de grève, les accords de Gdansk sont signés entre Lech Walesa et le gouvernement. En octobre le syndicat Solidarnosc est officiellement créé.

Toutefois, les manifestations continuent. Le mécontentement s’amplifie, gagne les étudiants, d’autres usines et d’autres villes. Le pouvoir communiste est débordé. Les Polonais sont encouragés dans leur résistance au pouvoir par le pape Jean-Paul II qui a exhorté ses compatriotes à ne plus avoir peur.

A Moscou, les dirigeants soviétiques hésitent à intervenir militairement en Pologne comme ils l’ont fait auparavant en Hongrie et en Tchécoslovaquie. Au début de 1980, ils ont envoyé leurs troupes soviétiques envahir l’Afghanistan. Ils renoncent à ouvrir un deuxième front. Ils agissent par personne interposée. Le 13 décembre 1981, le général Jaruzelski proclame l'«état de guerre». Lech Walesa, des dirigeants de Solidarité et des intellectuels critiquent sont arrêtés, emprisonnés ou assignés à résidence.

La mort de Léonid Brejnev et l’arrivée au pouvoir de Iouri Andropov en 1982 provoquent une amorce de détente. La loi martiale est levée l’année suivante. En 1985, l’élection de Mikhaïl Gorbatchev à la tête du PC soviétique change la donne. Le nouveau secrétaire général met fin à la «doctrine Brejnev» qui permettait à Moscou d’intervenir dans les affaires des «partis frères». L’agitation reprend de plus belle en Pologne.

La direction communiste ne veut pas céder aux revendications démocratiques du syndicat Solidarność qui a poursuivi ses activités dans la semi-clandestinité, mais elle se déclare prête à discuter. En février 1989 a lieu la première réunion de la Table ronde qui fera école dans les autres pays de l’Europe de l’Est. En avril, des accords sont signés entre le pouvoir et l’opposition. Ils prévoient la liberté syndicale et la liberté de la presse –Gazeta Wyborcza, créé par Adam Michnik paraît le 8 mai–, et des élections semi-libres.

Le 4 juin 1989, pendant que les chars de l’armée écrasent à Pékin la rébellion des étudiants et des ouvriers chinois, les Polonais élisent leurs députés. Le PC s’est assuré quelques sièges, mais tous les autres élus appartiennent à l’opposition. Quelques mois plus tard, en août, un gouvernement non-communiste, dirigé par l’intellectuel catholique Tadeusz Mazowiecki, est formé pour la première fois depuis plus de quatre décennies dans un pays communiste.

Le «camp socialiste» se disloque comme un château de cartes. Après la Pologne, c’est la Hongrie qui se dote d’un gouvernement réformiste et qui laisse passer les Allemands de l’Est qui fuient leur pays.

En Allemagne de l’Est même, tous les lundis soir les manifestants protestent contre la falsification des élections municipales qui ont eu lieu au printemps. Ils demandent le droit de voyager librement et le respect des libertés fondamentales. L’exemple de la Pologne fait tache d’huile. Mikhaïl Gorbatchev a décidé que Moscou n’interviendrait plus. C’est son mérite historique. Celui des Polonais, exhortés par un Lech Walesa, mélange de courage, d’inconscience, de naïveté et de confiance en soi, est d’avoir montré, comme le souligne le film de Wajda, que, même dans les régimes totalitaires, la peur pouvait toujours changer de côté.

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