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17.11.2014

La passionnante interview de Lech Walesa qui a donné naissance au film «L'Homme du peuple»
Par Jean-Marie Pottier

Plus de trente ans après L'Homme de fer, Palme d'or à Cannes en 1981, Andrzej Wajda est de retour dans la Pologne des années 1980 avec L'Homme du peuple, en salles mercredi 19 novembre. Un biopic du leader de Solidarnosc Lech Walesa qui alterne entre la reconstitution des principaux épisodes de sa lutte et celle d'un entretien avec la journaliste italienne Oriana Fallaci, décédée en 2006 (et notamment connue pour ses prises de position très critiquées après les attentats du 11-Septembre).

Déjà célèbre à l'époque pour ses longs entretiens avec des dirigeants internationaux (en 1979, elle avait enlevé le tchador qu'on l'avait forcée à porter devant l'ayatollah Khomeiny), celle-ci était venue rencontrer Walesa dans son appartement de Varsovie les 22 et 23 février 1981 pour le Corriere della Sera. Quelques mois plus tôt, la grève des chantiers navals de Gdansk avait rendu le leader syndical célèbre dans le monde entier et avait coûté sa place au leader polonais Edward Gierek. Et que vous voyez ou non le film, il est aujourd'hui passionnant de relire cet l'entretien, disponible intégralement en ligne en trois parties en anglais [Partie I, Partie II, Partie III] dans les archives du Montreal Gazette, qui en avait acheté les droits de traduction.

Comme dans le film, l'entretien commence par un combat rhétorique. Ce n'est pas une question qui l'ouvre, mais une longue mise au point de l'interviewé, à peine interrompue par l'intervieweuse:

«Un moment. Pour commencer, il nous faut clarifier certaines choses. [...] Qu'est-ce que je vais perdre avec cette interview? [...] Comment allez-vous l'écrire? Question-réponse, question-réponse, ou le tout mélangé avec des commentaires à l'intérieur? Parce que les commentaires à l'intérieur, je ne les aime pas. [...] Je n'ai rien à faire de certaines choses. Ni des livres, ni des interviews, ni du prix Nobel [qu'il obtiendra en 1983, NDLR] et encore moins de vous.»

Ce qui donne lieu à des échanges de ce style:

«Pourquoi vous me regardez comme cela?
— Je vous regarde parce que vous ressemblez à Staline. Est-ce qu'on vous a déjà dit que vous ressembliez à Staline? Je veux dire physiquement. Oui, le même nez, le même profil, le même trait, la même moustache.»

Les deux combattants signent ensuite une trêve. Walesa se présente comme un homme simple, un homme du peuple, donc, qui plaide pour des avancées à petits pas («La liberté est une nourriture qui doit être distribuée avec soin quand les gens ont trop faim») et explique ne pas être un de ces intellectuels «incapables de s'ajuster à la réalité du moment» ni un politique:

«Je refuse de m'exprimer avec leurs mots, leurs étiquettes, leurs slogans, gauche et droite –socialisme et communisme, capitalisme et luxemburgisme, démocratie chrétienne et sociale-démocratie. Je m'exprime avec mes mots: bon, mauvais, meilleur et pire.»

Walesa aborde aussi des sujets plus personnels. Son beau-père émigré aux Etats-Unis, et les Etats-Unis en général:

«J'aime Reagan. Oui, je l'aime beaucoup. La façon dont il bouge, la façon dont il parle, juste comme moi.»

Son admiration pour le pape Jean-Paul II et le primat de Pologne Stefan Wyszynski, et sa révélation religieuse quasi-claudélienne:

«Un jour j'avais très froid, je me sentais très fatigué, et j'ai cherché un endroit où me reposer. Il n'y avait rien dans le coin à part une église, donc j'y suis rentré et je me suis assis sur un banc. Tout de suite, je me suis senti mieux.»

Ou encore son couple:

«Nous avons six enfants. Est-ce que cela ne montre pas que nous faisons bien l'amour? Beaucoup et souvent.»

Quand, dans la troisième partie de l'entretien, Oriana Fallaci l'interroge sur le fait que les communistes ne voudront jamais partager le pouvoir, encore moins l'abandonner, il répond:

«Demain, qui sait? De grands empires sont tombés dans l'histoire de l'humanité.»

Et quand elle l'interroge sur son avenir personnel:

«Je dirais qu'à partir de maintenant, je peux seulement chuter. Progressivement ou la tête la première.»

Dix mois plus tard, Walesa sera arrêté dans la nuit du 13 décembre 1981, lors de l'instauration de l'état d'urgence par le pouvoir du général Jaruzelski. Libéré un an après, il deviendra en 1990 le premier président de la Pologne post-communiste.

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