Pour une insurrection des consciences
par Pierre Rahbi

La croissance n'est pas la solution : elle est le problème

La croissance est devenue une idole devant laquelle économistes, médias et politiques se prosternent. C'est pourtant une croyance irréaliste et dangereuse. Une croissance matérielle infinie sur une planète aux ressources limitées est bien sûr impossible. Le culte de la croissance économique est à la base de la plupart des maux dont nous souffrons. En fait, la croissance n'est pas le remède, elle est le problème. Ce principe produit un système qui fait de chaque nation une entreprise compétitive en guerre économique contre les autres nations et de chaque individu un ennemi de son voisin. Cette guerre, aux conséquences humaines et écologiques catastrophiques, touche d'abord les plus faibles, chez nous en France, par la précarité puis par l'exclusion. Elle augmente l'injustice dans les pays riches et encore bien davantage dans les pays pauvres au sud de la planète. 20% de la population de la planète, les pays riches, dont la France, consomment 80 % des ressources naturelles de la Terre.

Les changements climatiques, liés aux activités humaines, sont maintenant scientifiquement démontrés. La capacité de notre Terre d'absorber la pollution atteint sa dernière limite.

D'autres façons de penser et de pratiquer les échanges et l'économie existent, et sont mises en pratique avec succès dans de nombreuses contrées du globe.

L'argent produisant de l'argent, la spéculation monétaire, est une illusion aussi dangereuse qu'une bombe à retardement. Les vraies richesses ne sont pas virtuelles. Elles sont tangibles et résultent également de la créativité humaine. 

En France, comme dans tous les pays riches, nous devons apprendre à consommer mieux pour consommer moins.

Le temps de la décroissance soutenable est venu

pyramide des populations // énergies dépensées

Se libérer de la société de surconsommation

La publicité envahit chaque jour d'avantage l'espace public, nos domaines privés, jusqu'à notre imaginaire. Elle tente de nous imposer l'idée que le bonheur se trouverait dans une consommation sans limite. Mais alors quel sens pour l'existence ? Comment s'accomplir comme être humain quand nos vies sont réduites à une acquisition effrénée d'objets et de services ? L'explosion des banlieues et la montée de la violence, la surconsommation de médicaments antidépresseurs, le mal vivre de nombre d'habitants des pays riches, tous ces phénomènes trouvent une large part de leur origine dans ces messages qui propagent une fausse idée de la vie. Rompre avec cette idéologie est une étape indispensable pour nous diriger vers une société plus humaine. Privilégier un esprit critique et constructif, vivre sobrement, en favorisant une vraie convivialité dégagée de l'accumulation des marchandises, conditionnent notre capacité à vivre de façon véritablement désirable et responsable sur notre planète.

 

Le modèle dominant
Concentration et spéculation. Epuisement et dissipation des ressources.
Destruction de la biosphère et de l'humain. Le temps, c'est de l'argent.
La Terre nous appartient.

 

La logique du vivant
Renouvellement, pérennité, échange, dynamique entre les espèces vivantes.
Le temps, c'est de la vie. Nous appartenons à la Terre.

Produire et consommer localement

Nous assistons à une confiscation graduelle et sournoise de la capacité des peuples à se nourrir eux-mêmes. Ce constat est la cause d'injustices et de violences génératrices d'une insécurité planétaire. Les biens communs de l'humanité comme la terre, l'eau, les semences sont accaparés au profit de quelques puissances financières. Ils sont, soit soumis à l'abandon, à l'érosion et à la pollution, soit dissipés comme les semences, au profit de firmes multinationales qui leur substituent des productions incertaines et dangereuses comme les Organismes Génétiquement Modifiés.

L'alimentation est aujourd'hui l'objet de transports incessants et inutiles rendant des populations entières dépendantes des seules lois du marché. Elle parcourt des milliers de kilomètres avant d'être consommée. Cette pratique absurde engendre ainsi de multiples pollutions, alors que la nourriture pourrait être produite sur place, et sur des structures à échelle humaine par des paysans qui ne demandent qu'à le faire dans des conditions viables.

L'agriculture non productiviste doit être respectueuse des équilibres de la terre, de la nature et des consommateurs à qui elle fournit des denrées de haute qualité.

Cultiver son jardin, développer des potagers communautaires, favoriser les échanges ville-campagne, les associations « producteurs/consommateurs » sur des bases humaines et économiques saines, sont des actes politiques de résistance pacifique.

Produire et consommer localement devrait être le grand mot d'ordre planétaire

Cela signifie pour la France comme pour tous les pays du monde une nouvelle politique de ménagement des territoires et de l'urbanisation.

Santé de la terre, qualité de l'alimentation et santé humaine sont indissociables

Cela ne veut pas dire pour autant, et bien au contraire, renoncer aux échanges solidaires entre les régions et les peuples, seuls en mesure de répartir les biens de la terre et de stimuler la créativité humaine pour le bien-être du plus grand nombre.

Désormais, autonomie et solidarité doivent se conjuguer en tous lieux et en toutes choses

Le progrès en question

Il serait absurde de nier la réalité du progrès dans de nombreux domaines de la connaissance et dans leurs applications concrètes, mais il est tout aussi déraisonnable de transformer le progrès en idole. Toute évolution technique n'est pas forcément un progrès humain et le nouveau n'est pas une valeur en soi. Plus n'égale pas mieux.

Les nouvelles armes chimiques ou bactériologiques, la bombe à neutron etc., sont-elles un progrès ? Devons-nous être fiers que la France soit dans le peloton de tête des exportateurs d'armes et de centrales nucléaires ? Pouvons-nous nous enorgueillir de répandre sur toute la planète nos hypermarchés ? Une société réellement démocratique doit garder le choix et la maîtrise de sa science et de sa technique. Ce n'est ni aux scientifiques, ni aux firmes, de décider de notre avenir. L'automobile, la grande distribution ou l'agriculture productiviste, considérées comme des progrès en soi, ont provoqué plus de problèmes réels, dont on commence à mesurer l'ampleur aujourd'hui, que de libérations attendues. Il est reconnu que la réparation des dégâts produits par ces types de progrès coûtera bien plus cher que les bénéfices que nous en avons tirés.

Respecter la vie sous toutes ses formes
Base d'une autre éducation et d'une autre culture

Nous savons que la culture de certains peuples montre les signes d'une gratitude à l'égard des ressources vivantes que leur offre la nature. Nous sommes bien loin de cette attitude. Les exactions et les souffrances que l'être humain inflige aux créatures qui accompagnent son destin ne sont plus tolérables. Il n'est plus possible de voir la condition animale située soit dans l'excès d'adulation soit dans la cruauté la plus injustifiable. La logique du vivant que nous préconisons nous fait obligation de considérer toute créature vivante comme représentative d'un ordre à respecter pour lui-même, mais aussi dans notre propre intérêt bien compris. Toutes les injustices et exclusions inadmissibles que subissent nos semblables ne doivent pas nous faire oublier celles que nous infligeons à d'autres espèces que la nôtre. La vie sur terre est un tout qu'il faut protéger, soigner et aimer.

L'enthousiasme d'apprendre

Il ne peut y avoir de changement d'orientation de la société sans changement de l'éducation.

Comme en économie, il nous faut renoncer à la compétitivité en éducation pour instaurer la complémentarité, la réciprocité, la solidarité entre les enfants. La peur d'échouer doit faire place à l'enthousiasme d'apprendre. Cette option n'est pas seulement morale, elle est profondément réaliste.

Le rapport à la nature doit être enseigné à tous les âges. Il est indispensable, car il permet de comprendre la complexité, la fragilité et la cohérence des fondements de la vie.

Mais il serait tout aussi insensé de se défausser de nos responsabilités sur les nouvelles générations. La meilleure éducation que nous pouvons donner à nos enfants est l'exemplarité de notre capacité à remettre en cause nos choix de vie. Elle est aussi l'affirmation de notre volonté à faire évoluer notre société.

Le désir de se comprendre et de partager

Comme la biodiversité, la culture est le bien commun des habitants de la planète. La diversité des cultures et des peuples est le gage inaliénable de tout désir d'humanisation. Cette diversité nous permet de nous émerveiller devant la différence des réponses à des questions identiques. Notre capacité à cultiver notre singularité culturelle est la promesse d'avoir l'aptitude à émouvoir et enrichir ceux que nous accueillons, comme elle est la faculté d'être émus et enrichis par ceux que nous recevons.

Le pouvoir est entre nos mains

La démocratie représentative, celle qui limite le rôle des citoyens aux périodes électorales, est une démocratie inachevée. Nous avons des institutions favorables à l'épanouissement de la démocratie, mais nécessitant une citoyenneté plus active et participative pour la faire évoluer.

Depuis quelques années, les femmes et les hommes politiques reconnaissent eux-mêmes la faiblesse de leur marge de manoeuvre face aux intérêts des lobbies économiques et aux pressions des corporatismes. Cet aveu nous renvoie à la réalité de notre responsabilité et de notre pouvoir : c'est avant tout en nous changeant nous-mêmes et en choisissant des projets de vie en accord avec notre conscience que nous pouvons changer la société. L'engagement politique de Pierre Rabhi n'est pas un appel à une illusoire prise du pouvoir formel. La réalité du pouvoir de transformation du monde appartient à chacune et chacun d'entre nous, dans nos actes quotidiens et dans nos choix qui les commandent.

Le féminin au coeur du changement

Dans sa globalité, la société est dominée par un modèle masculin outrancier. Sur la scène du monde, les femmes sont les victimes, plus que les actrices, des violences et des tragédies qui s'y déroulent. Elles sont plus enclines à protéger la vie plutôt qu'à la détruire. Le courage dont elles font preuve dans les circonstances les plus difficiles témoigne d'une énergie et d'une obstination qui les font aller à l'essentiel pour répondre aux exigences de survie. Plus que jamais, il nous faut entendre le féminin, les femmes, mais aussi la part féminine qui existe en chaque être humain. Cela va bien au-delà de la simple parité. Le destin collectif de notre pays comme de l'humanité est désormais lié à l'équilibre des influences entre le masculin et le féminin.

Remettre les pieds sur Terre

Notre civilisation tourne actuellement à l'envers. De plus en plus déconnectée de la réalité physique et sensible de la planète, fascinée par les promesses d'un univers virtuel, aveugle face à la guerre qu'elle mène contre la nature et donc à elle même, elle ne parvient plus à se fixer d'autre but que la gestion dans l'urgence du quotidien. Apporter des solutions superficielles à un problème beaucoup plus profond présenterait tous les risques d'amplifier nos difficultés. Notre système n'est pas réformable comme tel. Nous devons donc inverser radicalement sa logique. Partir de la réalité concrète et de l'état présent de notre petit vaisseau spatial, la planète, pour imaginer ensemble les conditions réelles d'un avenir désirable pour tous. Avenir à bâtir sur un projet de réconciliation de l'être humain avec lui-même, les autres et la nature.

Tel est le devoir d'espérance et de responsabilité auquel nous convie l'engagement politique de Pierre Rabhi. C'est la ligne d'horizon la plus réaliste qui soit parce qu'elle est la plus poétique et la plus politique qui puisse être !

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